Ecrit par Poornima Luthra, Éducatrice à l’École de commerce de Copenhague, fondatrice et consultante principale chez TalentED, une société de formation et de conseil basée à Copenhague, Danemark  (Adapté par Le Courrier de l’UNESCO • juillet-septembre 2020)

 

Avec plus du tiers de la population mondiale confinée pour cause de Covid-19, la crise sanitaire a provoqué des perturbations sans précédent dans l’éducation. De la maternelle à l’université, les écoles du monde entier ont été contraintes de fermer, obligeant les éducateurs à trouver des méthodes d’enseignement alternatives. Cette situation risque de laisser une empreinte durable.

« Nous ressentirons les effets du Covid-19 sur les élèves au niveau mondial au moins jusqu’à ce qu’un vaccin soit accessible à tous », alerte Amy Valentine, directrice exécutive de Future of School, une organisation caritative publique américaine, qui soutient les modèles scolaires innovants. « La façon dont les systèmes et les districts scolaires ont réagi à la crise aura des répercussions sur les élèves au moment où ils passeront dans la classe supérieure, préparés ou non. »

On s’inquiète en particulier de son impact sur la santé mentale d’élèves coupés de leurs échanges et habitudes scolaires. Même les générations Z (nées entre 1996 et 2015) et alpha (nées après 2015), saturées de technologies, ont un besoin vital d’interactions sociales et d’expériences physiques loin de leurs appareils. C’est sans doute le plus grand défi que les éducateurs ont eu à relever sur les plateformes en ligne. « Les contacts humains sont importants dans l’éducation, surtout chez les adolescents », souligne à Singapour un enseignant du secondaire. « Les élèves préfèrent généralement aller à l’école, pour se sentir membres d’une communauté qui structure leur apprentissage. »

Compte tenu des exigences de distanciation physique, il faudra du temps avant que les interactions sociales retrouvent leur niveau d’avant le Covid-19. L’impact sur les générations actuelles d’élèves et d’étudiants pourrait se faire sentir des années durant. « Lorsque la vie scolaire aura retrouvé son cours normal, les éducateurs auront une tâche difficile à accomplir : rattraper les retards, combler les lacunes, apporter un soutien social et émotionnel renforcé aux élèves dans le besoin », énonce Sarita Somaya, enseignante de primaire dans une école internationale de Singapour.

De plus, de nombreux enfants à travers le monde trouvent à l’école le seul repas copieux de la journée. La fermeture des établissements les a contraints à chercher d’autres options, souvent en pure perte. Selon Gayathri Tirthapura, cofondatrice et administratrice du Tejasvita Trust (une organisation basée à Bangalore, qui fournit une éducation aux communautés défavorisées du sud de l’Inde), « les familles ont du mal à financer trois repas par jour, et dépendent des donateurs privés et des programmes d’aide annoncés par le gouvernement ».

Des diplômes décernés à des robots

L’un des enseignements de la crise, c’est que malgré un contexte très difficile, les établissements du monde entier ont su trouver des moyens créatifs et innovants de relever les défis posés par le Covid-19 – de la remise des diplômes universitaires à des robots remplaçant les étudiants au Japon à l’utilisation de chapeaux de distanciation sociale en Chine. Les éducateurs ont aussi dû faire preuve de créativité pour concevoir des contenus qui leur permettent de faire cours de manière attrayante sur toutes les plateformes numériques disponibles.

Pour suppléer l’absence d’interaction sociale, certaines écoles ont imaginé des activités thématiques pour faire participer les élèves, comme des pique-niques virtuels avec leurs classes. Dans les zones rurales, il a fallu inventer différents procédés pour s’assurer la participation des élèves, le plus souvent au moyen de messages texte sur les mobiles des parents ou d’appels téléphoniques. Là où les enfants n’ont même pas accès à un crayon à la maison – sans parler d’un ordinateur –, il leur a fallu trouver de nouvelles façons d’enseigner.

Dans des pays comme les États-Unis, la Nouvelle-Zélande ou le Royaume-Uni, des efforts ont été déployés pour que les enfants défavorisés disposent d’ordinateurs portables, de tablettes informatiques ou de points d’accès mobiles. En Inde, l’équipe de Gurushala, un portail d’apprentissage qui propose une formation numérique aux enseignants et du contenu aux élèves, explique que « l’accès à l’éducation n’a jamais été simple pour les enfants indiens des groupes défavorisés. La pénétration de la téléphonie mobile et de l’Internet augmentant de jour en jour, la technologie s’est retrouvée au premier plan ».

La fin du travail en groupe ?

Mais quelles seront les conséquences de la crise sanitaire sur l’éducation dans le long terme ? « Les classes primaires ont pris un aspect clinique – interdiction de partager, d’utiliser des ressources communes ou de travailler à plusieurs en se passionnant pour une expérience scientifique. Est-ce la fin du travail en groupe et des ateliers tournants ? Allons-nous retrouver des salles de classe avec le prof au tableau et les élèves assis toute la journée en face de lui ? » s’interroge Taryn Hansen, institutrice à Perth, dans l’État d’Australie-Occidentale, où les écoles ont rouvert fin avril. Pour Sankalp Chaturvedi, professeur associé à l’Imperial College Business School de Londres, « l’enseignement supérieur dans des salles de classe se poursuivra. Mais les gens auront pris l’habitude d’alterner avec la formation en ligne, ce qui n’était pas aussi évident avant le confinement ».

« Il est possible que l’épisode Covid-19 bouscule les choses dans le bon sens », prédit Sandy Mackenzie, directeur de l’École internationale de Copenhague. Cela pourrait amener « les écoles à se débarrasser de ce qui est obsolète, à utiliser efficacement la technologie et à donner aux éducateurs les compétences dont les nouvelles générations auront besoin pour les décennies à venir ».

Une réduction des inégalités dans l’éducation

Le recours au numérique suppose un accès généralisé à cette technologie. Or la pandémie a fait ressortir les inégalités
en termes de qualité et d’accès à l’éducation au niveau mondial, ainsi que l’ampleur de la fracture numérique, y compris dans les pays développés. Comme 60 % seulement de la population mondiale disposait d’Internet avant la pandémie, les gouvernements, les éditeurs, les fournisseurs de technologie et les opérateurs de réseau ont dû s’unir pour permettre aux éducateurs de fournir un enseignement en ligne au plus grand nombre possible d’élèves.

L’un de ces programmes est le Passeport pour l’apprentissage, une plateforme numérique d’apprentissage à distance développée à l’origine pour les enfants déplacés et réfugiés par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) en collaboration avec Microsoft. Le projet, promis au lancement pilote en 2020 et dont les enfants du Kosovo, du Timor-Leste et d’Ukraine ont été les premiers à faire l’expérience, s’est rapidement étendu aux écoles du monde entier frappées de fermeture. Désormais, tous les pays disposant d’un programme scolaire pouvant être enseigné en ligne pourront accéder à son contenu grâce à des manuels et des vidéos en ligne, assortis d’un soutien supplémentaire pour les parents d’enfants souffrant de troubles de l’apprentissage.

Pour que l’Objectif 4 des Nations Unies en matière de développement durable (ODD) puisse être atteint dans les dix années qui viennent, on espère voir davantage d’établissements publics et privés collaborer pour rendre les systèmes éducatifs plus résistants, plus inclusifs et plus équitables pour tous.

Repenser le rôle de l’éducateur

Le développement de l’apprentissage à distance a obligé les enseignants à réfléchir de manière créative aux contenus et aux meilleures façons d’enseigner en ligne, à repenser le rôle de l’éducateur, tout en ajoutant de la valeur à ce qui est enseigné. Cette expérience nous a également montré qu’il existe un potentiel de flexibilité dans la manière dont l’éducation est dispensée – en créant des alternatives aux structures et aux formats éducatifs classiques.

Les éducateurs et les parents ont constaté que certains de leurs élèves ou enfants s’en accommodaient très bien. On pourrait imaginer des versions plus sophistiquées, ou des options mixtes pour les élèves qui préfèrent ce mode de formation. Si la crise a rebattu les cartes du numérique, elle a également souligné la nécessité de repenser l’enseignement des générations futures. Cette réflexion est nourrie par les récentes recherches du Forum économique mondial (et d’autres organisations) sur les compétences nécessaires aux travailleurs de demain.
Il leur faudra des compétences cognitives plus poussées comme l’esprit d’entreprise, la créativité et l’innovation, mais aussi des compétences en intelligence sociale et émotionnelle, telles que la résilience, l’adaptabilité et l’esprit de croissance. Pour relever à l’avenir certains défis mondiaux parmi les plus urgents, l’éducation devra se concentrer sur le développement de ces compétences.

La pandémie marque un tournant dans l’histoire de l’humanité. C’est le moment de repenser en profondeur l’éducation pour les générations futures dans un monde post-Covid. Cela requiert un effort collectif de toutes les parties prenantes pour réfléchir sérieusement et consciencieusement à ces questions afin de prendre les mesures nécessaires pour y répondre.

 

BOX – Une Coalition mondiale pour assurer la continuité pédagogique

La situation est inédite : du jour au lendemain, pour contenir la pandémie, les écoles de plus de 190 pays dans le monde ont fermé leurs portes. À la mi-avril, 1,57 milliard d’enfants et de jeunes, soit 90 % des effectifs scolaires mondiaux, étaient déscolarisés. Cette crise de l’éducation a affecté de manière disproportionnée les élèves vulnérables et défavorisés, pour lesquels l’école joue aussi un rôle clé en matière de nutrition, de santé, voire de soutien affectif.

C’est pour assurer la continuité pédagogique pendant la crise sanitaire que l’UNESCO a lancé, le 26 mars, la Coalition mondiale pour l’éducation. Son objectif : mettre en commun les ressources d’un grand nombre d’acteurs privés et publics afin d’aider  les pays à développer des solutions d’enseignement à distance équitables, assurer des réponses coordonnées et faciliter le retour des élèves à l’école lors de la réouverture des établissements.

Une centaine d’institutions des Nations Unies, d’organisations internationales, d’entreprises du secteur privé – parmi lesquelles Microsoft, Google, Weidong ou KPMG –, des représentants de la société civile et des médias ont pris part à cette initiative.

Des opérateurs de téléphonie mobile, comme Orange ou Vodafone, se sont également joints à la Coalition. Ils ont consenti d’importants efforts pour accroître la connectivité et fournir un accès gratuit aux contenus éducatifs en ligne.  Car si la proportion de jeunes n’ayant pas accès à Internet à la maison est inférieure à 15 % en Europe occidentale et en Amérique du Nord, elle atteint 80 % en Afrique subsaharienne. Bien que les téléphones mobiles permettent aujourd’hui aux apprenants d’accéder à l’information, de se connecter à la fois avec leurs enseignants et entre eux, environ 56 millions d’élèves vivent dans des lieux non desservis par les réseaux mobiles, dont près de la moitié en Afrique subsaharienne.

En tant que membre de la Coalition, l’UNESCO a notamment assuré le suivi au niveau mondial des fermetures nationales ou localisées des établissements scolaires et du nombre d’élèves concernés. Elle a également mis en place des webinaires hebdomadaires à destination des responsables des ministères de l’Éducation sur la réponse éducative à la pandémie de Covid-19.