écrit par Selma Kassen, Unité des sites, Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels, ICCROM – (Adapté par P a t r i m o i n e M o n d i a l N º 7 8, 2016 )
Dans nos sociétés modernes, l’égalité des genres constitue un enjeu important de la question globale du développement humain. L’UNESCO a pris l’initiative de faire de ce sujet l’un des deux principaux objectifs mondiaux de son Plan d’action prioritaire 2014-2021.
La Convention du patrimoine mondial, programme phare de l’UNESCO, a été créée pour sauvegarder le patrimoine culturel et naturel présentant une valeur universelle exceptionnelle. Mais, dans le cadre des discussions actuelles sur le développement, il est important que cette protection se déroule dans un contexte qui assure un accès égal aux hommes et aux femmes à ce patrimoine pour bénéficier de sa présence. Par conséquent, il est essentiel d’identifier des approches plus égalitaires présentant des avantages mutuels au site et à l’ensemble de la communauté.
L’inclusion de membres de la communauté jusqu’alors exclus devrait permettre d’améliorer la conservation des biens du patrimoine mondial, sans toutefois constituer un fardeau.
Lors de leur 20e session, tenue en novembre 2015, les membres de l’Assemblée générale des États parties à la Convention du patrimoine mondial ont adopté une nouvelle politique sur l’intégration d’une perspective de développement durable dans les processus de la Convention du patrimoine mondial. Cette politique, élaborée par le Centre du patrimoine mondial en étroite coopération avec ses Organisations consultatives et d’autres professionnels du patrimoine à travers une série d’ateliers organisés en Allemagne et au Viet Nam, place la protection des biens du patrimoine mondial au cœur d’un contexte élargi qui englobe les droits de l’homme, l’égalité et la durabilité. Dans cette optique, la notion d’égalité entre les genres s’inscrit dans la deuxième dimension fondamentale du développement social inclusif et tient compte du bien-être et de la pérennité des sites et de leurs parties prenantes.
Reconnaissant à quel point il est important de donner au patrimoine une fonction spécifique dans la vie de la communauté, la nouvelle politique précise que « l’inclusion,
le respect et l’équité de toutes les parties prenantes, y compris les populations locales et concernées et les peuples autochtones, ainsi que l’engagement en faveur de l’égalité homme/femme, sont les bases fondamentales du développement social inclusif ».
En sa qualité d’organisation consultative du Comité du patrimoine mondial, l’ICCROM participait au groupe de travail qui a élaboré cette nouvelle politique, et soutient pleinement ses objectifs et ses principes, dont notamment l’importance de parvenir à un bon équilibre entre les genres pour assurer une gestion durable des sites du patrimoine. Dans son rôle de conseiller principal pour les questions de renforcement des capacités, l’ICCROM a joué un rôle actif dans la promotion d’approches globales pour la gestion des biens classés au patrimoine mondial. Dans son manuel de Gestion du patrimoine culturel mondial, l’ICCROM met notamment l’accent sur l’importance que revêt une approche participative comprenant des intervenants des deux genres, et plus particulièrement de sexe féminin, dans le cycle de gestion d’un bien «afin que d’accroître la visibilité de ce groupe et d’exploiter ses contributions et ses compétences potentielles et de répondre à ses besoins, tout en surmontant ses difficultés ». Le manuel jumeau rédigé par l’Union internationale de conservation de la nature (UICN), Gestion du patrimoine mondial naturel, souligne, quant à lui, que l’émancipation des femmes est, entre autres choses, un élément clé de toute stratégie de réduction de la pauvreté dans le cadre des biens du patrimoine mondial.
Conformément à son mandat, l’ICCROM propose de nombreuses formations en renforcement des capacités visant à développer les compétences et les connaissances des professionnels du patrimoine dans les domaines de la conservation et de la gestion des sites du patrimoine. S’agissant du choix des participants, l’ICCROM vise systématiquement à obtenir un bon équilibre entre les genres, les sites géographiques et les différents parcours professionnels. Si l’on examine les effectifs des deux formations en Conservation du patrimoine bâti et en Conservation de la pierre dispensées au cours des huit dernières années, on constate que l’ICCROM a offert aux femmes à mi-chemin de carrière d’importantes opportunités pour améliorer leurs capacités de conservation et leur réseau international.
Le nombre de participants n’est pas le seul moyen à travers lequel l’ICCROM aborde les questions de genre. Le contenu de ses formations est également pensé de manière à promouvoir l’égalité des genres et à favoriser la pleine participation de tous les membres des communautés concernées. La formation en Approches centrées
sur l’humain : encourager les communautés à participer à la conservation de la nature et de la culture, organisée du 5 au 16 octobre 2015 à Rome et dans la baie de Naples, en collaboration avec le Centre du patrimoine mondial, l’UICN et le Ministère norvégien du climat et l’environnement, illustre parfaitement ce point. Les participants, qui comptaient seize femmes et quatre hommes spécialisés dans le patrimoine et issus de dix-neuf pays, ont examiné diverses questions relatives aux concepts et aux méthodologies qui permettent d’encourager la participation des communautés dans la conservation du patrimoine et de promouvoir par la même occasion l’égalité des genres.
Le programme AFRICA 2009 de l’ICCROM est une autre initiative qui confronte clairement les questions de genres. Mis en place entre 1997 et 2009, ce programme a constaté, durant ses phases initiales, un déséquilibre important entre les genres au sein des institutions spécialisées du patrimoine africain, tant au niveau professionnel et qu’en matière de gestion, s’expliquant essentiellement par divers facteurs culturels et
historiques.
L’autonomisation des femmes s’est par conséquent imposée comme l’un des principaux objectifs de ce projet. Non seulement les femmes furent identifiées dans le cadre de l’audience cible et des bénéficiaires du programme, mais l’équilibre entre les genres dans son ensemble fut identifié comme l’une de ses priorités. Au cours de ses douze années de mise en œuvre, ce programme a veillé à ce qu’entre 40 et 50 % des 375 participants formés fussent de sexe féminin. Par ailleurs, les femmes se sont vu attribuer des rôles de leadership au sein du programme, dans le cadre du personnel et de leur participation au Comité de pilotage regroupant des directeurs du patrimoine culturel de la région. AFRICA 2009 a également cherché à souligner les questions de conservation du patrimoine qui revêtent une importance particulière pour les femmes et a fait en sorte que les plans de gestion élaborés dans le cadre de ses formations et de ses projets de sites soient créés avec la pleine participation des membres féminins de la communauté. Certaines questions clés, comme l’égalité des genres en matière d’avantages sociaux et économiques que génère le label de patrimoine mondial, ont également été examinées, et une attention particulière a été portée aux éléments du patrimoine traditionnellement gérés par les
femmes de la région.
Si de nombreux progrès ont certes été accomplis pour parvenir à l’égalité des genres dans le contexte du patrimoine mondial, il reste néanmoins beaucoup de travail à faire. Bien que la politique sur le développement durable récemment approuvée constitue une étape importante, l’ICCROM et ses partenaires doivent veiller à ce que ces questions conservent une grande visibilité à travers leurs formations et leurs activités de renforcement des capacités de tous types.