écrit pari Janet Blake, professeure associée, Faculté de droit, Université de Shahid Beheshti, Téhéran (République islamique d’Iran) – (Adapté par P a t r i m o i n e M o n d i a l N º 7 8, 2016 )
Le genre est un sujet fréquemement exprimé, appliqué, joué, voire enraciné, dans le patrimoine culturel immatériel (PCI). Il se manifeste sous diverses formes qui
vont bien au-delà d’une simple dichotomie homme/femme. Pourtant, la dynamique des genres dans la sauvegarde du PCI n’a reçu que très peu d’attention jusqu’à récemment. Avec la publication d’Égalité des genres : patrimoine et créativité en 2014, l’UNESCO a fait un important pas en avant pour reconnaître officiellement cet aspect clé du caractère du patrimoine et de l’impact des mesures de protection. L’examen de la manière dont la dynamique des genres affecte le PCI et sa sauvegarde permet d’appréhender le patrimoine comme un processus de médiation et de façonnage de nos identités (y compris de nos identités de genre), et du sens social et culturel. Dans la mesure où la diversité des genres prend racine dans la culture, cet aspect constitue une forme importante de la diversité culturelle, une valeur que soutient
officiellement la déclaration de 2001 de l’UNESCO sur la diversité culturelle. De nombreuses variations de la dynamique des genres se retrouvent dans le patrimoine culturel immatériel, notamment dans le théâtre kabuki japonais où les genres sont présentés de manière subversive, en attribuant les rôles des personnages féminins à des comédiens masculins et en créant l’ambiguïté entre les genres à travers une transformation qui remet en cause les systèmes traditionnellement binaires
homme/femme. Au Viet Nam, la cérémonie chamanique du mêle, quant à elle, les genres de manière plus intrinsèque, à travers des voyantes possédées par des esprits masculins qui acquièrent des caractéristiques « masculines » (vêtements, armes, comportements, etc.) et vice versa, tandis qu’au Mexique la danse des chineloscomporte une « Parade de la veuve » burlesque composée d’hommes déguisés en femmes, qui atteste de l’acceptation des homosexuels par les sociétés méso-américaines et précolombiennes.
Des rôles clairement définis
Dans un même temps, on trouve aussi de nombreuses pratiques de PCI spécifiques à chaque genre avec des rôles uniquement attribués aux hommes ou aux femmes. Dans les chants et les danses des Acholi en Ouganda, par exemple, chaque sexe joue un rôle clairement défini, et les femmes ont même utilisé cet art pour promouvoir des questions concernant directement le sexe féminin dans l’espace public. Le Ganggangsullae, danse féminine inscrite sur la liste représentative en 2009, offre aux jeunes villageoises de République de Corée un moyen d’auto-expression pour intégrer leur communauté. En Zambie, la mascarade des makishise pratique à la fin d’un rite initiatique destiné aux garçons de 8 à 12 ans afin de marquer leur retour dans la société en tant qu’hommes adultes. D’autres éléments du PCI présentent des divisions clairement fondées sur le genre en matière de répartition des tâches, comme dans le cas des jouets en bois fabriqués à la main par les hommes de Croatie, mais peints par des femmes, une pratique inscrite sur la liste représentative en 2009.
Ces exemples nous montrent qu’il est impossible d’appréhender le genre à travers une vision unique et universelle, et que certaines sociétés reconnaissent différents types de genres, dont les transgenres et les personnes dotées d’un esprit dualiste. Dans cette optique, l’imposition d’un point de vue inapproprié sur le rôle des genres peut être préjudiciable aux pratiques traditionnelles nécessaires à la transmission et à la sauvegarde des éléments du PCI. Dans la mesure où ces systèmes sont intégrés à d’autres relations de pouvoir social, une approche fondée sur le genre pour la sauvegarde du PCI doit être capable de contextualiser les activités humaines dans le cadre des interactions sociales au sens large.
De plus, étant donné que la participation communautaire constitue un aspect fondamental de la Convention de 2003, les analyses du patrimoine culturel immatériel liées au genre doivent se focaliser sur la manière dont la communauté culturelle concernée perçoit l’équilibre homme-femme, tout en gardant à l’esprit la diversité des points de vue au sein de la communauté.
La sauvegarde des traditions
L’adoption d’une approche fondée sur le genre pour la sauvegarde du PCI présente néanmoins de nombreux défis. Comme il l’a été souligné en 2004 dans l’un des numéros de la revue MUSEUM International, dans le contexte des propositions d’inscription sur les listes internationales de la Convention de 2003, on pourrait aisément croire que la Convention tend à réduire le PCI à une liste « de traditions largement expressives, reconnues et conçues de manière atomique », et les mesures de sauvegarde proposées pour-raient omettre un aspect plus important et holistique de la culture dont la dynamique des genres fait partie. Or, ce caractère holistique, « le tissu complexe d’actions sociales significatives menées par des individus, des groupes et des institutions », est justement la caractéristique qui rend la culture immatérielle. Cela n’est pas surprenant dans la mesure où la négociation d’un traité international ne facilite pas l’adoption d’une approche suffisamment nuancée pour prendre en compte la dynamique complexe des genres.
À la lumière des risques liés au traitement du PCI de manière neutre ou « unisexe », qui reproduirait ou renforcerait involontairement l’exclusion et la discrimination fondée sur les genres, il est toutefois essentiel d’élaborer des stratégies de sauvegarde qui tiennent compte du genre dans la mesure du possible.S’agissant des mesures de sauvegarde spécifiques, il existe peut-être un parti pris sexiste dans le processus d’identification du PCI, qui exclut les types de patrimoine fondés sur le genre. Les spécialistes en recherche et en documentation du PCI doivent aussi être conscients de tout parti pris éventuel en matière de genre dans la conception de leurs recherches, notamment dans les activités des enquêteurs communautaires, et les différences qui existent au niveau des rôles assumés par les hommes et les femmes dans le cadre du PCI constituent un domaine de recherche important. La façon d’aborder le genre ne doit pas être ignorée, même lors de la sélection des éléments justifiant une inscription internationale.
Les éléments qui démontrent des divisions clairement fondées sur le genre en matière de travail, les éléments relatifs à un genre spécifique et ceux qui réunissent l’ensemble
de la communauté à travers des rôles traditionnels doivent également être examinés de manière plus approfondie. À cet égard, il convient de noter que l’UNESCO a récemment révisé ses formulaires d’inscription pour encourager les États soumissionnaires à être plus explicites sur la question du genre, suite à la demande du Comité intergouvernemental de la Convention de 2003.
Des compétences fondées sur le genre
Le fait que les connaissances, compétences et le savoir-faire liés au PCI reposent fréquemment sur des modes de transmission informels fondés sur le genre soulève d’importantes questions quant à l’impact potentiel des mesures de sauvegarde sur les intéressés et le PCI proprement dit. La pratique de la fauconnerie, par exemple, inscrite en 2012 en tant qu’élément multinational, se transmet presque exclusivement d’homme à homme, tandis que l’art de la poterie de Mangoro en Côte d’Ivoire (mentionné dans le rapport périodique soumis au Comité intergouvernemental du PCI en 2013) est une pratique féminine vieille de plusieurs siècles.
Dans certains cas, le mode de transmission a évolué au fil du temps pour devenir plus ouvert et mixte. Il est utile de se demander si les attitudes liées au genre pourraient engendrer des problèmes au niveau de la transmission et comment ces derniers pourraient être abordés. Il est également important d’examiner dans quelle mesure les questions de genre sont prises en compte durant l’élaboration des plans de sauvegarde et de gestion du PCI. Et puisque les formes sexuées du PCI peuvent répondre à d’importants besoins sociaux et culturels, pour les individus, les groupes et l’ensemble de la communauté, il est important de tenir compte de ces aspects dans la sauvegarde.